-Hey ! Tu as déjà joué à un jeu de rôle sans meneur de jeu ?
– Ben .. c’est pas du jeu de rôle ça. Il faut forcément un meneur de jeu. Sinon c’est le bordel et les joueurs font ce qu’ils veulent…
…J’ai essayé une fois, mais mes joueurs ont fait n’importe quoi avec le scénario.
– Ah ouais, mais attends : déjà il faut jouer à un jeu de rôle qui est prévu pour. Tiens et puis puisque tu parles de scénario, tu peux parfois t’en passer !
-Je sais qu’il y a des jeux comme ça, mais du coup je crois que c’est plus un exercice d’écriture d’histoire à plusieurs. C’est pas du jeu de rôle. C’est ce qu’on appelle du narrativisme..
-Ben si tu veux utiliser des mots comme ‘narrativisme’ auquel tout le monde donne le sens qu’il veut, on va pas avancer.Je te rassure : on ne supprime pas vraiment le meneur de jeu. C’est plutôt comme si toutes les joueuses devenaient des meneuses de jeu.
-MDR ! c’est quoi tes jeux de hippies ? J’essaie de comprendre pourquoi t’appelle ça du jeu de rôle..
Si tout le monde a tous les droits, tu les gères comment tes combats ? Si tout se résout avec des consensus mous, tes parties doivent être chiantes comme la pluie.
-Et si je te disais que c’est juste une autre façon de jouer ? Et qu’en plus ça “fonctionne”. Parce que du coup, il n’y a pas un jeu de rôle et une seule façon de jouer. Il y a des jeux de rôles, avec plein de nuances. Je ne cherche pas à te convaincre, hein. Juste à te montrer qu’avec un peu de curiosité on peut trouver des jeux vraiment fun qui partent juste d’une base différente.
Ça te dit d’en causer quand même deux minutes ?Bon c’est mon blog, donc je raconte ce que je veux.
-Mouais, mais ça sent le texte chiant et long à lire ..
-Ouais, un peu. Mais en même temps, ça fait 2 ans que je prend un pied énorme en jouant à certains jeux. A tel point que j’ai envie d’en parler et d’essayer de comprendre moi aussi pourquoi ils “marchent” aussi bien pour moi.
Alors je prend le temps de développer, tu vois ? Pour qu’on se comprenne, je vais te décrire ce que j’aime quand je joue.Pour ça je vais reprendre (plagier) l’excellent article de Sam Kabo Ashwell, What is a story game ? .Oui, ça ressemble à de la flemme ! J’ai presque traduit mot pour mot. Mais, bon sang, c’est tellement ça.
-J’ai lu vite fait l’article de Sam. Mais du coup, il parle de Story Game ! C’est bien que c’est différent du jeu de rôle. CQFD
-Pas du tout. L’auteur définit d’ailleurs le terme Story Game ainsi :Un Story Game.. c’est un autre mot pour Jeu de Rôle. Défini comme “un jeu où tu joue un rôle”. Et ça couvre beaucoup, beaucoup de pratiques.
-Toujours pas convaincu. Et du coup, c’est quoi qui est si différent dans les jeux que tu joues ?
-Sors toi de la tête que j’essaie de te convaincre ! Je publie ce blog uniquement pour parler de la pratique qui me plaît le plus. Ca ne veut pas dire que je crache sur les autres ou que je cherche à changer la façon dont les jeux de rôle sont joués.
Mais comme tu me tends la perche, oh gentil alter-ego virtuel, voilà une liste qui permet de définir ce qui m’a le plus branché dans les jeux auxquels j’ai joué.
Non pas un schéma des joueuses/un meneur de jeu, mais souvent uniquement des meneurs de jeu :
Tu retrouves ça dans des jeux comme Fiasco, Durance, Dream Askew, Follow, Microscope etc.. On parle souvent de “jeux de rôle sans meneur“, mais en fait cela décrit très mal ce qui se déroule pendant la partie.
Le rôle du meneur de jeu est distribué ou partagé par l’ensemble des joueuses. Du coup, comme pipule rouge dans son excellente vidéo, je préfère dire “plusieurs meneurs”, cela évite les malentendus. D’autres jeux conserve un rôle particulier pour une joueuse, comme appelle toujours meneuse de jeu ou maîtresse de cérémonie (le nom importe peu). Mais les règles de jeu qu’elle suit sont subtilement différentes : elle est plus une facilitatrice de jeu, elle accompagne, relance et les autres joueuses bénéficient d’une partie de ses “responsabilités” vis à vis du jeu.
Exemple : Apocalypse World et la plus part des jeux qu’il a inspiré.
-Ah ouais, mais j’en ai déjà entendu parler. C’est des jeux super prétentieux qui pensent avoir inventé l’eau chaude où on parle de sujets super sérieux. Moi je veux m’amuser quand je joue au jeu de rôle, pas me prendre la tête.
-Bon déjà, tu te calme et tu arrêtes de couper mon explication. Ensuite il en existe des tonnes de jeux basés sur ce principe. Tu as de tout, aussi bien des jeux pour jouer dans une ambiance fun avec de l’action, de l’héroïsme et des scènes épiques, que d’autres pour jouer sur les sentiments ou la détresse des personnages. Donc tu ranges de côté tes à priori deux minutes. Je te rappelle qu’on parle de jeux, on y joue pour s’amuser, point barre. Je reprend.
L’accent est mis sur la créativié des joueuses :
Exit le scénario préparé à l’avance par un seul joueur ou acheté dans le commerce. Les joueuses sont avant tout invitées à créer et à construire sur les propositions faites à la table par l’ensemble des joueuses. La règle du jeu est là pour les y aider (si elle est bien fichue, exemple : Prosopopée, le SandBucket). Du coup, une partie ne ressemble jamais à une autre, il y a un déluge de bonnes idées qui fusent et tu n’as jamais l’impression de te reposer sur un fil conducteur prévisible. Les joueuses bouillonnent, on se surprend, il y a des twists, des idées que personne ne voit venir, etc .. Et bien entendu, tout ça avec un fil conducteur pour que le jeu reste dans un canon esthétique donné. Mais on peut aussi jouer en mode “mind fuck” complet.Exit aussi les bases de jeu pré établies : idem, il n’y a pas à apprendre ou à respecter un vaste univers de jeu cohérent avant la partie.
Tout est introduit en cours de jeu.
La fiction s’adapte à ce qui est dit à la table de jeu. On joue “pour découvrir la suite” mais également pour savoir d’où on part, quelles sont les scènes, etc..En anglais, on parle de No Myth, ce qui se traduit par des techniques du genre : rien à propos du monde ou de la narration n’est sacré. Le meneur de jeu ou la joueuse qui agit avec des responsabilités similaires ne doit pas tricher pour conserver des PNJs ou des scènes qu’elle a prévue. Il n’y a pas de scénario prévu, mais il y a des éléments liés au genre (au sens “genre comme au cinéma”)Accepter les rebondissements, les succès ou les échecs imprévus qui vont même à l’encontre de ce que les joueuses espéraient
Chaque jet de dé doit être important
Chaque jet de dés (ou ce qui les remplace) doit avoir un objectif et/ou un risque dans la balance.
On accorde du temps pour les situations que les joueuses jugent importante. Pour le reste, on peut passer en accélérer, faire des ellipses, etc..Les joueuses sont invitées à essayer des choses. Ça peut te sembler évident, mais les habitudes prises dans certains jeux ont la peau dure comme un cuir foutrement tanné.
Des jeux qui demandent une faible préparation avant la partie :
C’est un gros avantage pour moi qui manque de temps pour varier mes activités. La plupart du temps, une joueuse lit les règles, imprime quelques documents ou prépare un tapis de jeu (si on joue en ligne). Et en avant.
Des structures de narration explicites :
Souvent on joue des scènes, qui s’articulent entre elles selon des mécanismes qui servent de guide. Ça peut être sous la forme d’un prologue et épilogue imposé par un chronomètre (le SandBucket), ou un nombre de scènes fixes (Fiasco), ou des séquences pré définies (Kingdom). Et je te rassure : ça ne bride en rien les histoires et le fun.
Un détachement entre les intérêts des joueuses et l’intérêt des personnages joués :
Forcément. Sinon ces jeux ne fonctionneraient pas si chacun prêchait pour son personnage. Au contraire, les joueuses sont là pour rechercher le conflit percutant, celui qui fera briller ou sombrer leur personnage. Il faut donc savoir malmener les personnages, pour voir ce qu’ils ont dans les tripes (au sens figurer comme au sens propre) ou pour les voir triompher au prix de sacrifices ou de changements importants.
Moins d’immersion :
J’ai horreur de ce mot, mais je le reprend car il sert ma soupe. En gros, oui je m’en fou de l’immersion. Oui je ressens des émotions à travers les personnages de nos parties de jeux de rôle. Mais non, je ne cherche pas à jouer en apnée en braquant un flingue sur celui ou celle qui viendrait “rompre l’immersion”, qui serait comme une sorte de magie ambiante te faisant croire que le personnage, c’est toi.
Et ça pour plusieurs raisons : non seulement je joue un personnage comme au cinéma, mais je joue aussi la caméra. Et le réalisateur derrière. Et parfois aussi un des scénaristes de l’équipe de tournage. Voir l’acteur qui joue le personnage.certains jeux te permettent d’emprunter pour quelques temps un personnage, puis de le remettre dans un pool ouvert à tous (The Quiet Year, Microscope) ou de créer plusieurs personnages ( Durance) il n’y a pas de secrets ou de mystères cachés à découvrir : dans la plupart de jeux, les joueuses partagent toute l’information. Parce que c’est beaucoup plus marrant pour rebondir sur les motivations de personnages ou ce qui les opposent. Certains jeux vont créer des secrets, mais c’est souvent une impro faite en jeu ( le move Contempler l’Abysse dans Monster Hearts)
Un goût certain pour les conflits entre les personnages :
Mais pas entre les joueurs. On est souvent loin de la troupe d’aventuriers qui œuvrent coude à coude (MonsterHearts). Même si ça peut arriver (Follow). Pourquoi du conflit entre les personnages ? Ben là encore parce que c’est fun et que ça permet de voir qui sont ces personnages, jusqu’où ils iront dans ces confrontations. Et on ne parle pas forcément de combat, hein?
Des règles simples :
La plupart du temps, la règle fait moins de 100 pages, voir moins de 50. Elle a le mérite d’être claire car l’idée est qu’elle soit rapidement comprise par tous et utiliser pour créer du jeu. C’est simple, je ne cherche plus à proposer des jeux de plus de 100 pages. C’est devenu pour moi impossible.
Mais surtout les règles sont moins axées sur la simulation :
Et beaucoup plus sur la narration. Qui décide de quoi, quoi faire dans quelle phase de jeu, etc ..Pas de dé, ou peu d’aléatoire : pas toujours. Souvent un ou deux dés à 6 faces ou des jetons à tirer. En tout cas un usage du dé ou du jeton comme créateur d’histoire, et pas comme moyen de résoudre une tâche en particulier. Mais encore une fois, pas de dé ne veut pas dire que le jeu n’a pas de rebondissement ni de punch.
Exemple Dream Askew avec son une économie basée sur la dépense et le gain de jetons.
Une place moindre pour les combats :
Voir pas de combat, ou alors les combats sont traités comme n’importe quel autre conflit. Ou alors, le jeu met l’accent sur l’enjeu dramatique d’un combat, plus que sur la succession de passe d’arme.Motivé par l’échec : c’est parfois l’échec ou une spirale d’emmerdes qui sont le cœur de la narration. Certains jeux comme Fiasco ou Final Girl en font leur principe fondateur qu’on ne peut laisser de côté.
Pas de course à l’armement :
Souvent les personnages ne vont pas évoluer en gain de puissance ou en développant un arsenal de nouvelles techniques les rendant tout puissant.
L’accent parfois mis sur des problématiques sociales ou politiques :
Les thèmes peuvent tourner autour de la vie en communauté, de l’éthique ou de la (contre) culture. Dog eat dog et le colonialisme. Dream Askew et la survie d’une communauté queer. Night Witches et le féminisme. Ça change, ça ouvre aussi des horizons pour lire ou voir d’autres choses une fois la partie terminée.
L’accent mis sur les relations entre les personnages : Saga of the Icelanders en fait le coeur de son système, notamment via sa gestion de l’expérience qui pousse à interagir. Beaucoup de jeux définissent un maillage de relations est créé en début de partie. Cela créée une situation en déséquilibre, prête à sombrer ou à exploser.L’accent mis sur les sentiments, le personnel : explorer les motivations du personnage, son ressenti et ses émotions (Happy Together de Gaël Sacré le fait super bien).
Le fait de jouer dans un contexte sain et avec de la sécurité : certains jeux explorent des sujets qui peuvent être traumatisant pour une joueuse ou qui potentiellement peuvent mettre mal à l’aise (exemple Les Cordes Sensibles). Tout dépend de l’expérience de chacun dans la vie et de nos sensibilités. On va donc veiller particulièrement à ce que chaque proposition de jeu aie le consentement de l’ensemble des joueuses sur le plan du ressenti. Il y un travail en amont et pendant le jeu pour y veiller. Ça prend la forme d’outils (sorte de soupapes de sécurité), de conseils à apprendre et comprendre, pour que tout le monde se sentent à l’aise et puisse intervenir pour désamorcer ou annuler une situation allant trop loin.
Conçu pour une seule session de jeu:
Le format est plus au one shot ou à une suite de 2 ou 3 séances de jeu.
Expérimental et “indépendant”:
Il y a une belle profusion de travaux, play tests, jeux peu ou pas distribués ou vendus par leurs auteurs directement en mode indépendant.
-Ah ouais, la vache ! C’est tellement beau que si tu n’avais pas cité ta source, j’aurai presque commencé à trouver que tu es un garçon d’une grande éloquence
-Ouais, hein ? Et si tu te dis que tout ça, c’est pas du jeu de rôle, c’est presque normal. Tu as peut-être tes habitudes, et tu t’es dit que ça devait englober toutes les formes de jeux de rôle.
Ce n’est pas sale. Soit la ou le bienvenue sur ce blog. Je le publie justement pour donner l’envie d’essayer d’autres pratiques. Et aussi pour faire découvrir des jeux complètement ovni et très peu diffusés.J’espère qu’on aura l’occasion d’échanger sur ces sujets.