Dream Askew

Dream Askew est le genre de jeu qui mérite toute ton attention. Pour peu que tu aimes le drama et le jeu centré sur les personnages, il devrait te plaire énormément. C’est un hack d’Apocalypse World, mais il ne hack pas la même chose que les autres.

Laisse moi te montrer comment il fait ça. Pourquoi tu dois l’essayer. Et pourquoi je l’aime d’un amour fou.

Note sur le développement du jeu :

Dream Askew est un jeu de Avery “Monster Hearts & The Quiet Year” Alder qui a eu une première version en 2013. En plus d’être une game designeuse sympa et talentueuse, Avery a eu l’idée d’enrichir son jeu et de sortir une seconde version en 2018.

Une version “work in progress” de cette v2 a été créée fin 2017 sous la forme d’un play kit de 12 pages. C’est de cette version de travail dont je vais te parler.

Le jeu peut donc encore évoluer d’ici sa sortie définitive. Je ne manquerai pas d’y revenir pour te parler de ses évolutions.

Alors ? Comme ça on lance un blog, et on se paie le luxe d’attendre trois semaines avant de publier un nouvel article ?

Ben ouais. Mais en même temps, il s’est produit un truc que je n’avais pas vu venir début janvier. Et ce truc, c’est le playkit de la v2 de Dream Askew.

J’ai donc pris le temps d’y jouer. Fébrilement. Comme un gosse qui ouvre ses cadeaux à Noël.

Ensuite, je me suis dit que ce serait pas mal d’en faire un article ici.

Déjà parce que Dream Askew a été pour moi une putain d’épiphanie. Et il y a des chances pour qu’il t’intéresse aussi.

Et  puis, il n’a vraiment pas des masses de présence sur le web. Alors que bon sang !  Il est publié depuis 2013 ? Par Avery Alder ? Allo, internet !

Je ne cache pas qu’il m’a aussi fallu du temps pour te pondre cet article. Résumer un an d’expérience autour d’un jeu de rôle qu’on aime autant, ça ne se fait pas en 2 heures. J’en ai aussi profité pour recueillir l’avis de mon bon ami JC, qui a glissé un retour sur le jeu que tu trouveras en fin d’article.

Bon, assez bavassé.

La version 2 de Dream Askew est disponible au format PDF pour 10 $ (2018)

La version définitive de Dream Askew : depuis Buried Without Ceremony (2013)

Le kit de démo du jeu (2018)

Un compte rendu de partie sur la v1 du jeu

Un exemple de tapis de jeu du play kit de la v2

 

Crédit photo : Ossdesign
https://oosdesign.deviantart.com/

Apocalypse, mon amour

Autant te mettre à l’aise tout de suite : j’ai eu un très gros crush pour ce jeu. Dès sa première lecture. Et l’impression s’est confirmée lorsque j’ai eu la chance d’y jouer. Environ sur une quinzaine de tables virtuelles en un an, pour te dire un peu d’où je parle du jeu. Pour moi qui ne joue rarement plus que deux ou trois parties sur un même jeu, ça fait beaucoup.

En gros, on va dire qu’il y a eu un avant et un après Dream Askew. C’est clairement ma came. Une foutue révélation. Du genre qui m’a fait dire tout haut “ah ouais, mais c’est comme ça que je veux jouer. Tout le temps.”.

Bon, on se calme.

Parlons déjà d’où vient ce jeu et de son auteure.

Born to be queer

Déjà, une rapide définition, si le terme queer t’es inconnu :

Queer : adjectif désignant les personnes à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre marginalisée. On dit aussi LGBTQ+ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenre). A l’origine, insulte anglophone signifiant bizarre, chelou… En bref, en dehors du moule hétéronormé. Les principaux intéressés se sont ensuite approprié ce qualificatif pour revendiquer leur liberté et leurs droits. (définition tirée de Usbek & Rica)

Le queer est au coeur de Dream Askew. Les joueuses incarnent des personnages queer responsables de la survie d’une communauté dans un monde post apocalyptique.

L’auteure de Dream Askew, Avery Alder, est une militante LGBTQ+. Elle introduit les thèmes qui lui sont chers dans ses jeux. Aussi bien au niveau des univers que des règles.

Certains de ces jeux comme Monster Hearts abordent des thème comme l’orientation sexuelle, les genres et le changement des individus de manière progressive.

Dream Askew l’aborde de manière frontale : la proposition est sur la table dès la première partie.

Pour reprendre ses propres mots, publiés sur son site Buried Without Ceremony :

I believe a few things pretty seriously:

We are strongly moved by and informed by stories.

Stories unify communities.

Stories reveal who we are.

 

Traduction qui vaut ce qu’elle vaut:

Je crois fermement en certaines choses:

Nous sommes changés et avertis/informés par les histoires.

Les histoires unifient les communautés.

Les histoires révèlent qui nous sommes.

Mais si ce pitch ou l’intention de l’auteure ne te parle pas de premier abord, ne t’arrête pas à ça. Le jeu n’est pas là pour t’imposer une vision du monde, mais plutôt pour explorer l’intention d’Avery. Et de manière progressive.

Il aborde des enjeux importants et qui invitent à la réflexion. Tout en restant simple et accessible.

Et dis toi que si tu passes à côté de Dream Askew, tu raterais un sacré jeu de rôle.

Triste monde tragique et violent

Pour cadrer un peu plus le sujet du jeu, il va falloir que je te parle de son univers.

Ou en tout cas, de ce que le jeu te propose comme base à l’univers de ta partie. Car 2 parties de Dream Askew n’ont que très peu de chances de se ressembler à ce niveau là. Mais voici quand même ce que la règle du jeu te propose comme base.

(bruit de popcorn mastiqués bruyamment)

L’Apocalypse frappe l’humanité de plein fouet. Curieusement, on avait toujours cru qu’elle arriverait d’un bloc, qu’on serait tous frappés en même temps. Au lieu de ça, elle se répand par vagues successives.

D’un côté, des terres ravagées, peuplées de gangs prêts à tout pour survivre. La pénurie de ressource devient la nouvelle norme. Plus de nourriture, plus de réseau informatique, plus d’espoir.

De l’autre, il y a la société restée intacte. A l’abri du besoin et du chaos. Prête à tout pour sauver ses valeurs, sa technologie et ses avantages.

Le monde devient plus effrayant encore. A la frontière de ce que nos sens perçoivent, il y a un Maelstrom Psychique, hurlant et affamé. Il s’immisce dans notre quotidien. Modifiant les individus. Offrant de nouveaux pouvoirs et prélevant son dû.

Nous formons une communauté queer. Des personnes déjà marginalisées avant que le monde ne s’effondre. Nous  nous sommes réfugiés dans une Enclave, pour se reconstruire, s’aimer et repartir de l’avant. L’apocalypse a fini par nous frapper, nous aussi. Parviendrons nous à en tirer profit pour créer une sorte d’utopie ?

(fin du générique)

Tiens, si tu connais un peu le jeu Apocalypse World de Vincent Baker, tu dois te dire que ton jeu ressemble à une foutue copie ! 🙂

Et bien évidemment, tu te trompe lourdement 🙂

Bon, en fait non, tu as raison quelque part. Dream Askew est bien un hack d’Apocalypse World et son “univers” en découle directement.

( j’écris “univers” car dans des jeux comme DA et AW, l’univers de jeu est ce que les joueuses en font, c’est donc un peu tendu de te parler de l’univers d’AW)

Un hack d’un autre genre

Le jeu est donc un hack d’Apocalypse World.

Mais il ne hack pas la même chose que les autres hacks dits “Powered By The Apocalypse” (PBTA, si tu ne connais pas encore, je te recommande chaudement cet excellent article les petites apocalypses).

Tu connais peut être déjà certains hacks comme Dungeon World, Monster of the Week, The Sprawl, ..

Mais là, c’est le concept même qui est modifié. Avery Alder va déconstruire pas mal d’éléments du système d’Apocalypse World, tout en conservant ce qui est fait sa saveur.

Et ça, c’est particulièrement futé.

 

I shot the MC ..

Dream Askew supprime le rôle unique et central de Maîtresse de Cérémonie (c’est le nom donné à la meneuse de jeu dans Apocalypse World).

C’est un jeu sans MJ, alors ? t’empresses-tu de demander.

Ben non, pas du tout.

C’est un jeu où toutes les joueuses sont MJ. Et elles ont des outils pour ça, des conseils et des guides. Chaque joueuse choisit en début de partie d’incarner, en plus de son personnage, un Cadre. C’est un aspect de l’univers, avec ses propres besoins, ses désirs, ses actions et des descriptions qui lui sont propres.

Un Cadre, c’est donc une thématique de l’univers post apocalyptique de Dream Askew.

On en compte 6. Chaque Cadre va avoir un impact direct sur l’histoire :

  • les diverses pénuries : les conséquences du manque de ressources, de nourriture et de services
  • les gangs : la diversité des buts et des cultures de ses humains qui se sont pris l’apocalypse en pleine poire, leur impact sur l’Enclave queer.
  • le Maelstrom Psychique : cette force puissante et surnaturelle qui est apparue après l’apocalypse. A moins qu’elle n’en soit la cause. Le Maelstrom impacte le quotidien de tous et offre des présents avec un prix
  • le royaume digital : internet n’est plus, les machines ont cessé de fonctionner, mais les humains sont malins et avides de retrouver ce que les réseaux informatiques pouvaient leur offrir.
  • la société intacte : l’orthodoxie, une technologie supérieure, et tout ce que ces gens préservés de l’apocalypse peuvent faire pour se maintenir en sécurité.
  • la planète Terre : comment elle réagit aux actions des humains, les frappe de tempête, les brise ou au contraire leur offre des solutions inattendues.

Le Cadre que tu vas choisir a son propre agenda en jeu. Sur sa feuille de Cadre, tu vas trouver des conseils mais surtout ce qu’il désire. C’est les désirs de ton Cadre qui vont orienter la façon dont tu vas le jouer. Et bien entendu, c’est toi qui choisis ces désirs en début de partie.

Le jeu te dit quand tu dois jouer ton Cadre et quand tu dois arrêter via des déclencheurs.

Mais la plupart du temps, tu vas jouer ton personnage.

Les personnages

Chaque personnage est décrit par un livret à choisir parmi les 6 disponibles :

  • l’Iris, un individu qui a été modifié par cette force mystérieuse qu’est le Maelstrom Psychique. L’Iris est un individu troublant.
  • le Maestro s’est imposé dans le vide créé par la disparition des commerces et des réseaux de distribution.
  • la Suture sait réparer les corps et les machines, un talent précieux lorsque le monde s’effondre.
  • le Tigre est féroce et acharné. Il est à la tête d’un gang, doit gérer sa position de leader tout en remplissant son rôle dans la communauté.
  • le Flambeau apporte des réponses spirituelles dans l’espace laissé par les anciennes religions. Il est à la tête d’un groupe de fidèles qui lui obéissent.
  • le Nouveau vient d’arriver dans l’Enclave. Il a fui la société intacte pour trouver refuge dans l’Enclave. Il débarque et veut se rendre utile.

Dans le livret de ton personnage, tu vas trouver des choix à faire en début de partie et des questions à explorer en jeu. Également des conseils à suivre et des amorces d’histoires avec des PNJs et les autres PJ.

Sur chaque livret, les actions que peut accomplir ton personnage sont présentées sous la forme d’une liste. On appelle ces actions des moves.

Sauf que le jeu se joue sans dé.

Wait ! What ?

 

Les moves

Ah ouais, j’ai oublié de te dire que le jeu a sa vision bien précise des moves d’Apocalypse World.

Tu ne lanceras jamais 2d6 + Cool dans Dream Askew 🙂

Mais tu vas voir que le principe des moves d’Apocalypse World est bien là.

Le jeu a juste changé les règles et viré le gras autour.

Dans les jeux PBTA, tu trouves des actions appelées moves.

Elles ont cette forme (je simplifie volontairement pour l’exemple) :

Quand tu agis sous la pression, lance 2d6+cool. Sur un 10+, tu y parviens. Sur un 7-9, tu hésites, le MC peut t’imposer une complication. Sur un 6-, attends toi au pire.

Donc “intention de la joueuse” > lance 2d6 + caractéristique > résultats + conséquences positives / négatives.

Dans Dream Askew, les moves vont directement aux résultats. Par exemple :

Fais-toi prendre en train de mentir, de tricher ou d’essayer de passer inaperçu

ou

Demande à un ami influent d’honorer la dette qu’il te doit – pile au bon moment

 

Les moves sont regroupés en 3 niveaux de “puissance” : les moves faibles, les moves ordinaires et les moves fort.

Un move faible met ton personnage en difficulté, ou révèle une faiblesse :

Avoue quelque chose et cherche à te faire pardonner

Traite quelqu’un comme un projet en cours, et non comme un être humain

Fais une promesse que tu ne peux pas tenir

Demande « Qu’est-ce qui me rend vulnérable dans cette situation ? »

 

Un move fort permet d’accomplir une action importante, impactante, qui fait avancer l’histoire en mettant en avant ton personnage :

Mets-toi à l’abri du danger

Révèle une compétence jusqu’alors inconnue

Tue quelqu’un

Demande “Quelle est la plus grande peur de ton personnage ? »

 

Un moves ordinaire, c’est ce que ton personnage sait faire en restant relativement en contrôle. Il est dans sa zone de confort, il est compétent. Mais il peut y avoir des conséquences négatives.

Agis, en te rendant vulnérable

Répare ou fabrique quelque chose partiellement ou mal.

Punis quelqu’un pour faire un exemple.

 

Si tu compares cette façon de voir les moves avec Apocalypse World ou un jeu PBTA, ça peut donner ça :

  • les moves faibles, c’est lorsque le résultat de ton jet fait 6 ou moins
  • les moves ordinaires, c’est quand tu fais un 7-9
  • les moves forts, c’est lorsque tu fais un 10 ou +

Du coup, quand ton personnage agit, c’est toi qui choisis si tu vas le mettre en difficulté ou le faire briller.

Mais pourquoi est-ce que tu irais faire ça ?

Ben déjà, parce que c’est bon, et que tu peux aimer jouer comme ça. Moi c’est mon cas, j’aime éprouver mon personnage et le voir sur la corde raide, avec 3 poignards dans le dos.

Si tu ne vois pas de quoi je te cause, voilà quelques liens de qualités supérieures pour te mettre au parfum : concéder, jouer l’impact, explications en vidéo par Eugénie, l’intro de ce blog où j’en parle un peu.

Ou sinon, de manière plus pragmatique :

Pour pouvoir jouer un move fort, il te faut dépenser un jeton.

Et tu gagnes un jeton de 2 façons :

  • soit en jouant un move faible
  • soit en jouant selon un attrait : l’attrait, c’est un move qui te permet mettre en avant le personnage d’une autre joueuse

Et donc, il va falloir commencer par jouer au moins un move faible si tu veux gagner ton premier jeton.

 

Début de partie

Un début partie, ça donne ça :

  • on lit les textes d’intro des livrets de personnages et de Cadres
  • on se les répartit, une feuille de personnage et de Cadre par joueuse
  • chacune suit les instructions notés sur ces feuilles

Puis le jeu commence.

Ouais mais il y a pas de création d’univers ? Si. Mais tu vas voir qu’on va pouvoir commencer à interpréter nos personnages et nos Cadres dès cette phase de construction. Il y a un dernier élément dans Dream Askew dont je ne t’ai pas parlé. C’est la feuille d’Enclave.

 

L’Enclave c’est donc cet territoire qu’occupe la communauté des personnages.

Les joueuses vont lui donner du corps en choisissant des éléments physiques importants, qui vont être significatif pour le début de partie.

Est-ce qu’elle est construite autour d’une gare abandonnée ? Dans une zone inondée ? Dans une épave ? Y a-t-il des formes de vie qui ont muté à proximité ? Est-ce que l’environnement est froid et silencieux comme un complexe dernier ci ? Ou au contraire, la communauté à les pieds dans la boue et vit dans des cabanes ?

Le jeu te suggère à ce stade de rassembler des visuels et de dessiner une carte pour que tout le monde aie une même vision de l’Enclave.

Puis les joueuses vont définir 3 forces en présence dans l’Enclave. 3 forces pouvant être représentées par des factions différentes et qui sont en conflit.

Un jeu de question/réponse où tu te laisses embarquer par ta curiosité

L’Enclave avec ses conflits et les personnages avec leurs amorces sont autant de pistes creuser. Autant de questions à poser aux autres joueuses.

D’ailleurs, c’est ce que te dit a règle du jeu : laisse-toi guider par ta curiosité.

Pose des questions sur des éléments de jeu qui t’intéresse. Construis de l’histoire sur les réponses apportées par les autres.

Qu’est-ce qui fait une bonne question pour créer une scène ? Ca dépend uniquement de tes envies en tant que joueuse et de ta curiosité. Si tu penses qu’une question vaut la peine d’être explorée au travers une scène, vas-y, fonce.

Si tu as pigé, on en est donc encore dans une phase qu’on pourrait appeler le world building. Et pourtant, toute la table se lance dans le jeu et va jongler entre un zoom sur des scènes du quotidien, des scènes avec des enjeux forts, des scènes d’introspection ou simplement d’ambiance.

On joue ces scènes à travers les yeux et les voix de nos personnages. Utilisant nos moves faibles, forts ou ordinaires pour accomplir nos actions ou répondre aux moves lancés par les autres joueuses. Toutes peuvent participer aux scènes. Que ce soit en incarnant leurs personnages, en posant une question, en jouant selon les désirs de leurs Cadres ou en ajoutant des détails, des ambiances ou en incarnant des PNJ.

C’est de ce qui semble être un joyeux bordel que jaillit tout l’originalité et l’intérêt de Dream Askew. Les scènes naissent des envies des joueuses, de ce qu’elles aimeraient creuser, questionner ou voir arriver. Les mécaniques de jetons des personnages et  de déclencheurs des Cadres vont rythmer le jeu. Marquer la cadence.

Le fait que tu choisis les moves de ton personnage et qu’ils soient exprimés sous la forme déclarative renforce encore cette impression de se laisser guider par ce qui est important pour toi.

Le jeu devient un mouvement de va et vient. Cette dynamique ne prendra fin que lorsqu’une scène va se terminer. Mais c’est alors pour enchaîner naturellement sur une autre scène. Ou répondre à une nouvelle question, une nouvelle envie à explorer, dans un autre lieu ou un autre moment.

 

Drama System 3000

Et bon sang, qu’est ce que c’est bon ! Car cela produit un paquet d’interactions et de jeu entre les personnages. Tout en liant cela à l’univers d’une façon naturelle, évidente. Fluide.

Tiens, si tu t’es déjà demandé pourquoi certaines parties de jeux de rôle se passaient mieux que d’autres, tu t’es peut-être aperçu que cela tenait particulièrement au fait d’impliquer toutes les joueuses et d’écouter leurs envies. De laisser libre cours à l’exploration de leur personnage. Ou tout simplement en leur lâchant la bride sur un fragment d’histoire qu’elles voudraient voir apparaître. Ou d’embrayer sur un pan entier d’histoire qui les fait tripper.

Et bien Dream Askew intègre cela dans le coeur même de son système de jeu. Il te pousse à cela. Tu ne peux qu’aller dans cette direction.

Vous avez dit Queer ?

Avec son univers de jeu, il est évident que Dream Askew ne peut se destiner à tous. Notamment parce qu’on y aborde des sujets adultes. Qui peuvent parfois être des sujets graves. Comme de dominations, d’abus ou de violence. Mais également d’utopie, de justice alimentaire, de BDSM, de sexe, de construction d’une vie en société et de rapports humains.

Mais avant de te parler de tout ça, je prend le temps de te parler de la thématique queer.

Dans ce jeu, il est question d’interpréter le genre et la sexualité de personnages dont la définition va au delà du “je suis un garçon”, “je suis une fille” et de l’hétérosexualité.

Je vais donc prendre 5 minutes pour te parler de mon expérience de mec “blanc cis-genre hétéro non militant LGBTQ+” lorsque j’ai commencé à jouer à Dream Askew.

Il y a dans un premier temps la question de la définition même de certains genres. Pour cela, j’ai été bien aidé par les personnes avec qui j’ai commencé mes premières parties (Fabulous Fabrissou, c’est à toi que je pense). Car définir ce qui différencie une hard femme, une butch queen et une cold femme n’est pas forcément donné au premier venu.

Mais comment fais-tu alors si le jeu ne définit pas clairement ces termes ?

Et bien comme dans la vraie vie, tu te renseignes. Tu interroges les personnes autour de toi, tu t’intéresse au sujet, voir tu consultes the urban dictionary.

Tiens, par exemple : la première fois qu’on t’a parlé d’une vouge double ou d’une rondache dans un univers médiéval fantastique, c’est sans doute ce que tu as dû faire.

Et c’est un des éléments qui m’a le plus marqué en jouant à Dream Askew, toujours de mon point de vue d’ignorant du sujet : c’est l’exploration du monde queer, des difficultés et des fulgurances des personnes qui vivent ce sujet au quotidien.

Recontextualiser la thématique queer dans cet univers post apocalyptique et l’explorer ensemble autour d’une table de jeu, c’est aussi cela ce que le jeu m’a proposé. Et c’est aussi ce qui m’a poussé à y rejouer encore et encore.

J’ai pu lire ou entendre parfois à propos des jeux de rôles : “Ah mais moi, je ne me sens pas de jouer un personnage d’un autre genre que le mien, c’est trop dur / c’est impossible / je vais caricaturer / c’est irrespectueux”.

Ah ouais ? mais parce que jouer un Elf cyber interfacé à la Matrice en 3048 cela ne te pose pas de problème pourtant ? Ou un troubadour dans une bande d’aventuriers quelque part sur les frontières entre le royaume fictif de l’Empire et les Terres du Chaos ?

Et pour ce qui est de la caricature et du respect, cela n’a rien à voir avec le jeu. C’est ce que tu trimbales comme bagage avec toi qui te fera jouer comme ça. A partir du moment où tu réfléchis deux secondes à l’intention que tu portes en jouant, ça devrait bien se passer.

Tout est question pour moi de curiosité. De volonté ou non de vouloir interpréter une femme lorsqu’on est un homme, ou une personne transgenre alors qu’on se représente soi-même son genre par son sexe de naissance.

Et quitte à enfoncer encore des portes ouvertes en le rappelant : l’important est d’y trouver un intérêt, que cet intérêt se traduise en terme de jeu et que cela apporte du plaisir de jeu à la table. C’est à dire non seulement à toi, mais à l’ensemble des joueuses.

Sécurité émotionnelle et discussion en début de partie

Bon tu l’auras compris, l’univers de Dream Askew ne partage pas grand chose avec celui de la Petite maison dans la Prairie.

Sauf pour les vastes étendues plus ou moins sauvages. Le côté roots des conditions de vie. Et l’orthodoxie de certains PNJ.

Et donc forcément, si tu veux l’explorer à plein à ta table, il faut que tu puisses savoir où tu mets les pieds. C’est à dire, jusqu’où tu peux aller dans sur certains sujets sans que ça n’aille à l’encontre de la sensibilité d’une autre joueuse.

Oh. Tu peux t’en foutre royalement, hein. Et te dire que c’est qu’un jeu, et que de toute façon tu ne joues qu’avec tes potes et que c’est cool. C’est ce que j’appelle “jouer avec des œillères”. Parce qu’en gros, soit tu es vraiment con. Soit tu ne te rends juste pas compte que la situation à une table de jeu de rôle peut parfois être un peu plus complexe que ça.

Bon, admettons que tu es une lectrice ou un lecteur de qualité supérieure, et donc pour toi ça t’importe que chacun puisse s’exprimer à la table quand quelque chose ne lui convient pas.

Et donc pour cela deux options : soit tu as déjà joué avec les autres joueuses à ce genre de jeux, et dans ce cas vous avez sans doute déjà des codes et des outils pour jouer ces thèmes et respecter la sensibilité et les émotions de tous.

Soit ce n’est pas le cas, et dans ce cas-là c’est comme pour le saut en parachute: avant de te lancer et de triper avec tes potes, tu t’assures d’avoir les bons outils, le bon matériel, et que tout le monde sache comment bien s’en servir quand ça devient important.

Heureusement pour toi, le saut en parachute, c’est comme le jeu de rôle avec des thèmes durs et adulte : il y a pas mal de monde qui le pratique. Et tu vas pouvoir trouver beaucoup de ressources qui en parle sur le web ou dans des ouvrages.

Ce serait trop long de tout détailler ici, ce serait le sujet d’un article à part entière. Mais si tu n’as aucune idée de ce que c’est, je vais te lister quelques liens très utiles et faire un peu de name dropping :

  1. un outil qui a fait ses preuves : la x-card qui est présentée sur le site de Place to Go People To Be en français.
  2. il y a aussi ce post de Gherhartd Sildoenfein sur Google Plus qui dresse un panorama des outils et usages en matière de sécurité émotionnelle
  3. l’article Un contrat social sain de Frédéric Sintes, qui te présente notamment les lignes et les voiles et fourni beaucoup d’exemples
  4. le jeu Monster Hearts dans sa seconde édition aborde à plusieurs reprises les conseils et pratiques à mettre en oeuvre.
  5. et si tu veux voir ce qu’il se fait dans ses jeux de rôles qu’on appelle les GN, il y a l’excellent article du blog Electro-GN sur la sécurité émotionnelle

Un dernier mot

Le jeu est toujours en cours de finalisation et il pourra sans doute encore varier d’ici sa sortie définitive. Mais comme tu l’auras compris, il me botte déjà beaucoup.

A chaque table où j’ai pu jouer, l’expérience était différente. Je pense que cela tient du fait que le ressenti et la personnalité de chacun.e colorent beaucoup le jeu. L’univers de Dream Askew n’est pas rose. Il peut même être déprimant. Mais il donne à réfléchir et offre parfois de beaux moment de tendresse et de contemplation.

Chapeau bas, Avery Alder. Tu as créé un sacré jeu qui m’a beaucoup marqué et auquel je sais que je vais encore jouer pendant un moment.

 

Les plus

  • Sa vision du système des PBTA qui  en fait un hack intelligent et efficace
  • Des personnages forts et humains, des amorces de jeu passionnantes à jouer
  • La double exploration : celle de l’univers de jeu créé à la table, et celle du monde queer

Les moins

  • ?
  • Ah si : il me faudrait des journées de 48 heures pour pouvoir y jouer plus souvent

Je te le recommande si …

  • Tu aimes déjà Apocalypse World ou les jeux PBTA et que tu veux essayer une variante
  • Tu aimes te concentrer sur les personnages et explorer qui ils sont en jeu

Je te le déconseille si …

  • Tu ne veux pas jouer à un jeu de rôle en jouant des situations dures et des personnages faillibles
  • Tu ne viens pas à la table avec l’intention de coller au thème du jeu. Car oui, tu peux jouer à Mad Max avec Dream Askew. Mais tu vas vite comprendre que le jeu tourne à vide si tu te contente de cet aspect.
  • Pour toi jouer à la fois un personnage et à la fois un bout du rôle de MJ est impossible. Mais dis toi bien que c’est dommage, car justement Dream Askew t’offre une belle opportunité de t’y mettre en douceur. Son approche pourrait te faire changer d’avis.

 

 

Comme annoncé en début d’article, un insert par l’ami JC N qui tenait à parler de son expérience du jeu.

Mini-kit de survie à destination des gens qui hésitent à jouer à Dream Askew pour plein de raisons

Confession intime : Dream Askew m’a embarrassé au premier abord. L’idée d’employer des termes queer sans les connaître, des termes parfois argotiques, que les communautés visées se sont réappropriés mais qui sonnent super mal dans la bouche d’un non-concerné, ça m’a légèrement tourneboulé. Le « d’où on parle », c’est important. Je ne voulais pas faire de la « queersploitation » ; bref, je ne voulais pas récupérer une thématique grave pour l’esthétiser sans la comprendre complètement. J’y voyais un risque de sombrer dans l’approximation ou de faire face à des caricatures autour de la table – surtout qu’il s’agissait d’un jeu minimaliste, sans MJ, qui n’offre pas beaucoup de structures et donc de filet de sécurité à première vue.

Bref je me suis pas mal compliqué la vie.

Dream Askew est un jeu qui nous demande d’essayer de nous mettre d’accord pour jouer des gens qui essayent de se mettre d’accord. C’est un jeu qui sait déjà que ce sera pas forcément simple, au début, d’imaginer une enclave queer, de cadrer les scènes et de déterminer ce qu’est une « cyberdyke ». Que ce sera compliqué et pour les joueuses et pour leurs personnages. Mais c’est un jeu qui te dis que c’est pas grave, de pas savoir comment jouer sans MJ ou de donner sa langue au chat quand on rencontre un mot bizarre. Que c’est pas grave de pas être d’accord. Il suffit d’en parler autour d’une table, et tout s’éclaire souvent. C’est parfois aussi bête et beau que ça. Le reste du temps il faudra faire parler la poudre dans les terres désolées de la post-apocalypse, mais c’est une autre histoire.

« C’est l’intention qui compte ». Célèbre maxime. Très sage ou particulièrement stupide en fonction du contexte. Mais dans Dream Askew, c’est à peu près la seule boussole qu’il te faudra trimballer pour vivre quelque chose de cool sans blesser le reste de la table. Et si tu me crois pas, demande à l’autrice, elle te le dira. Mieux : elle l’a déjà dit. On se posait une question sur le « cyberdyke » susmentionné, niveau traduction ; littéralement « cybergouine ». Pas un mot simple à manier, pas un mot simple à écrire, pas un mot simple à jouer. Et pas un mot qui a la même résonnance en anglais qu’en français (comme toujours, en somme). L’ami Matt a pris sa plus belle plume numérique pour poser la question à Avery Alder (l’autrice, donc), qui a répondu en détaillant plusieurs significations, et en achevant son mail par ces mots : « Lorsque je pense à ce terme, je pense à Trinity, dans Matrix. Ca peut vouloir dire plein de choses. Peut-être que ça voudra dire quelque chose de complètement différent après la chute de la civilisation ! »

« Ca peut vouloir dire plein de choses ». C’est à peu près ça. Les termes obscurs dans Dream Askew, c’est comme ses règles de partage d’autorité : c’est un mélange de vécu et de poésie. Et ce qui est cool avec la poésie, c’est que tu l’interprètes comme tu veux, tant que tu ne veux blesser personne. S’il y a un mot qui te gênes, tu peux en parler avec les autres ou en choisir un autre ; on est pas dans une utopie pour rien. Si ton intention est bonne, si tu es parti.e pour respecter l’humanité de ton personnage et pour rester à l’écoute du reste de la table, tout se passera comme sur des roulettes.

Ce qui est embêtant quand on explique qu’un truc est super simple, c’est que plus l’explication est longue, plus elle semble prouver le contraire, donc j’arrête là.

Joue à Dream Askew !

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